Joseph-Désiré Mobutu et Cleophas Kamitatu, des relations compliquées !

mar. 30/11/2021       mar. 30/11/2021       9 minutes et 30 secondes       434 Vues

Page d'histoire : Joseph-Désiré Mobutu et Cleophas Kamitatu, des relations compliquées !

Ayant presque le même âge, Joseph-Désiré Mobutu (né à Lisala, le 14 octobre 1930) et Cleophas Kamitatu (né à Kilombo, le 10 juin 1931) vont entretenir, tout au long de leurs parcours politiques, des relations compliquées. Nous allons illustrer cela par quelques exemples. 

1. L'histoire de ce jour commence à Bruxelles. On est au mois de février 1960. Dans une salle de réunion d'un hôtel de la place. Un jeune homme de 28 ans préside une réunion préparatoire du Front Commun. Le Front Commun est une structure politique qui a été mis en place à Bruxelles et qui réunit toutes les délégations congolaises présentes à la Table-Ronde politique. L'objectif de cette structure est de permettre les concertations entre les congolais et l'harmonisation des points de vue avant la confrontation avec les délégués belges lors des réunions plénières de la Table-Ronde. 

Ce jeune homme qui préside la réunion du jour s'appelle Cleophas Kamitatu (Kamitatu est la déformation de Kama Tatu {trois cents en kikongo}). Qui est il ?

Origine et parcours de Cleophas Kamitatu 

Il est né le 10 juin 1931 à Kilombo, dans le territoire de Masi-Manimba dans l'actuelle province du Kwilu. En 1945, il est inscrit au petit séminaire de Kinzambi, une très grande école catholique qui a formé une frange importante de l'élite intellectuelle du Kwilu. D'ailleurs, il est condisciple de Pierre Mulele à Kinzambi.

Après ses six ans d'humanités, il fait deux ans de noviciat pour devenir prêtre. A la fin de son noviciat, il informe les prêtres qu'il doit les quitter mais il restera toujours en bons termes avec eux.

Il devient alors moniteur à Kikwit et entre après au service territorial en 1953. En 1955, il crée, avec le soutien de l'abbé Alexandre Nzundu (futur évêque de Kikwit), l'association des anciens élèves des Pères jésuites de Kinzambi. 

Pierre Mulele crée le PSA

2. Pierre Mulele, qui avait été chassé du petit séminaire de Kinzambi et qui a fait l'armée dans la même unité que Mobutu, et ses amis Bengila, Fernand Nima, Fernand Munanga créent, au mois de janvier 1959, un parti politique dénommé Parti Solidaire Africain ( PSA en sigle). Ils confient la présidence à Sylvain Kama.

Pierre Mulele recrute Kamitatu 

Le 6 mai 1959, Pierre Mulele et Sylvain Kama envoient une lettre à Cleophas Kamitatu, qui est un intellectuel et une personnalité respectée à Kikwit. Dans cette correspondance, ils lui proposent d'adhérer au PSA en en devenant le responsable local et d'implanter le parti dans les districts du Kwilu et du Kwango. Kamitatu accepte la proposition de Mulele. C'est ainsi qu'il deviendra le président provincial du PSA. Sa juridiction s'étend sur toute la province de Léopoldville. A l'époque, la province de Léopoldville comprend la ville de Léopoldville (Kinshasa) et cinq districts: Kwilu, Kwango, Lac Leo II (actuelle Mayi-Ndombe),les Cataractes et le Bas-Congo (actuel Bas-Fleuve). Après l'indépendance, les districts des Cataractes et du Bas-Congo vont fusionner pour donner naissance à la province du Bas-Congo (actuelle Kongo-Central).

Toujours en 1959, Pierre Mulele et Sylvain Kama vont rendre visite à un notable du Kwilu installé à Léopoldville, ancien du petit séminaire de Kinzambi et du grand séminaire de Mayidi, pour lui proposer de prendre la présidence nationale de leur parti politique, le PSA. Le monsieur accepte la proposition. Il s'appelle Antoine Gizenga. 

Joseph Kasa-Vubu, Antoine Gizenga et Albert Kalonji, membres du Cartel ABAKO.

4. Dans le cadre de leur alliance, qu'on appelle le Cartel ABAKO et qui comprend les partis politiques ABAKO, PSA et MNC-K, les trois leaders de ces partis partent à Bruxelles en décembre 1959, pour discuter avec les autorités belges sur la problématique de l'indépendance. Il s'agit de Joseph Kasa-Vubu, président de l'ABAKO, d'Antoine Gizenga, président du PSA et d'Albert Kalonji, président du MNC-K. 

Après l'échec de ces pourparlers, les leaders congolais décident de rentrer au pays en attendant la convocation de la Table-Ronde prévue au mois de janvier 1960. Mais, à la surprise générale, à partir du 14 décembre 1959, Antoine Gizenga est porté disparu. Personne n'a de ses nouvelles ! C'est seulement le 2 mars 1960, presque 2 semaines après la clôture de la Table-Ronde, que Gizenga va réapparaître à Léopoldville en descendant d'un avion en provenance de Dakar. 

Gizenga, le président du parti, ayant disparu, c'est Cleophas Kamitatu qui est désigné chef de la délégation du PSA à la Table-Ronde. C'est ainsi qu'on le retrouve, au début de cette histoire, en train de présider la réunion du Front Commun à Bruxelles. 

La rencontre Cleophas Kamitatu-Joseph-Desiré Mobutu 

5. Au cours de la réunion en question, la porte s'ouvre et un jeune bel homme bien habillé entre dans la salle. Il tapote Victor Nendaka à l'épaule, tire une chaise et s'assoit. Le président de séance, Cleophas Kamitatu, lui demande de se présenter. Le jeune homme répond qu'il est cadre du MNC-Lumumba et il vient représenter son parti politique. Kamitatu lui demande s'il est étudiant en Belgique. Le monsieur répond par l'affirmative. 

Kamitatu lui demande alors de quitter la réunion; parce que le règlement intérieur du Front Commun interdisait formellement la participation, à ces réunions stratégiques, des étudiants congolais de Belgique. On soupçonnait beaucoup d'entre eux d'être des agents du service de renseignement belge (la sûreté belge). Après l'injonction de Kamitatu, le monsieur ne bouge pas. Le président de la réunion lui dit alors que s'il ne sort pas immédiatement, il arrête la réunion. C'est à ce moment que Victor Nendaka demande à son ami de sortir. L'ami en question se lève et quitte la salle en claquant la porte. Il s'appelle Joseph-Désiré Mobutu. La première fois qu'il rencontre Cleophas Kamitatu, celui-ci le chasse d'une réunion. Il s'en souviendra. 

Cleophas Kamitatu devient le premier gouverneur congolais de la province de Léopoldville 

6. Après les élections générales du mois de mai 1960, Cleophas Kamitatu devient président (gouverneur) de la province de Léopoldville, dans son ancienne configuration (Bas-Congo, Bandundu,Ville de Léopoldville). Joseph Kasa-Vubu, président de la République; Patrice Emery Lumumba, premier ministre; Antoine Gizenga, le nouvel allié de Lumumba, vice-premier ministre. 

En ce qui concerne l'armée, à l'indépendance, le militaire congolais le plus gradé est adjudant. Patrice Lumumba se convient avec le gouvernement belge, malgré l'indépendance, que tous les officiers belges restent dans la Force Publique et continuent à la gérer. C'est ainsi que le lieutenant-général Emile Janssens, commandant en chef de la Force Publique depuis 1954, va le demeurer après l'indépendance. 

Après le début des mutineries dans la Force Publique, le premier ministre Lumumba limoge le général Janssens. En réaction, tous les officiers belges décident de quitter l'armée congolaise. La Force Publique est décapitée. 

Que faire ?

Le vice-ministre Joseph-Désiré Mobutu devient Chef d'état-major général. 

7. Pour résoudre ce problème du départ brusque des officiers belges, le gouvernement congolais décide de promouvoir les militaires congolais. C'est ainsi que Patrice Lumumba nomme l'ancien adjudant Victor Lundula, qui avait quitté l'armée depuis des années, commandant en chef de la Force Publique (qui est devenue entre-temps l'Armée Nationale Congolaise, ANC) et l'ancien sergent-comptable Joseph-Désiré Mobutu, devenu vice-ministre (secrétaire d'État), chef d'état-major général, avec le grade de lieutenant-colonel. Victor Lundula étant bloqué à Jadotville (Likasi), C'est Joseph-Désiré Mobutu qui est ,de facto, le patron de l'armée. 

Le chef d'état-major général Joseph-Désiré Mobutu se fait tabasser 

Vêtu de son uniforme d'officier supérieur et de son courage, Joseph-Désiré Mobutu commence sa tournée dans les camps militaires pour sensibiliser les mutins à arrêter leurs mouvements de protestation. 

Malheureusement pour l'apprenti chef d'état-major, arrivé au camp Léopold (actuel camp Kokolo), le plus grand camp du pays, il est reconnu par ses anciens camarades de promotion qui sont restés dans l'armée. Il leur explique que c'est lui le nouveau chef d'état-major général et qu'il est devenu lieutenant-colonel. Ce discours va énerver ses anciens camarades qui disent qu'on s'amuse maintenant avec l'armée lorsqu'un ancien sergent devient du jour au lendemain colonel !

Ces militaires en colère vont lui tomber dessus et se mettre à le tabasser comme un vulgaire voleur. 

Kamitatu sauve Mobutu 

8. Le gouverneur Kamitatu apprend que des militaires sont en train de maltraiter le nouveau chef d'état-major au camp Kokolo. Courageusement, avec son véhicule officiel, il descend sur place et trouve le futur Maréchal du Zaïre par terre, les vêtements en lambeaux et couverts de sang, le visage tuméfié. Le gouverneur intervient en criant sur les militaires qui l'ont reconnu. Il leur dit que tous les officiers blancs sont partis; alors on essaie de s'organiser entre nous congolais. Mobutu a été nommé par les autorités du pays et il essaie d'accomplir simplement sa mission. Il n'est pas responsable de la situation. 

Le gouverneur Kamitatu récupère le colonel Mobutu et le ramène chez lui dans sa voiture. Marie-Antoinette, dès qu'elle voit l'état de son mari Mobutu, se met à pleurer. Après lui avoir raconté l'histoire, Kamitatu la calme et lui demande d'appeler un médecin pour soigner son mari. Maman Antoinette remercie vivement Cleophas Kamitatu. 

Mobutu sauve Kamitatu 

9. Nous avons vu, dans la précédente pages d'histoire (les Martyrs de la Pentecôte), comment le nouveau président de la République, le lieutenant-général Mobutu, pour se faire craindre, a piégé et fait pendre le 1er juin 1966, quatre politiciens: Evariste Kimba, Emmanuel Bamba, Alexandre Mahamba et Jerome Anany. 

Lors de la dernière réunion du 29 mai 1966, les militaires ont arrêté les quatre politiciens et attendaient l'arrivée du cinquième qui était en retard. C'était Cleophas Kamitatu. 

L'un des vrais domestiques, originaire du Bandundu, ayant entendu cela, va sortir discrètement et aller attendre Kamitatu au coin de la rue pour le prévenir du piège. Informé par ce bon samaritain, Kamitatu fait demi-tour et repart. 

Le lendemain, il sera quand même arrêté comme comploteur. Par la suite, il est jugé et condamné à mort avec ses collègues politiciens. 

Après l'annonce du verdict de la peine de mort, Maman Antoinette Mobutu va rappeler à son mari le général-président, comment Cleophas Kamitatu lui avait sauvé la vie en 1960 au camp Kokolo. Elle va plaider en sa faveur. C'est ainsi que le président Mobutu va commuer la peine capitale de Kamitatu en prison à vie. Voilà pourquoi Cleophas Kamitatu est le seul du groupe à n'avoir pas été pendu. Il sera envoyé à la prison de Bula-Bemba pour purger sa peine. 

 

A suivre !

(Voir l'ouvrage " Antoine Gizenga " de Jean Mpisi)

Sources et références
  • Page Facebook :  Thomas Luhaka Losendjola
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Thomas Luhaka Losendjola © : Thomas Luhaka Losendjola - Novembre 2021

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