Page d’histoire : L’ histoire et la géographie des 4 langues nationales de la République Démocratique du Congo.
1. La République Démocratique du Congo est le deuxième pays le plus vaste d’Afrique (2.345. 410 km²) après l’Algérie.
C’est le 4ème pays le plus peuplé d’Afrique (estimations en 2021 : 105.044.646 habitants) après le Nigeria, l’Ethiopie et l’Egypte. C’est aussi le pays francophone le plus peuplé du monde. En effet, ce vaste pays d’Afrique où cohabitent plus de 400 tribus, le français est la langue officielle. Et quatre langues locales ont été retenues comme langues nationales en vue de faciliter les communications intertribales.
Colonisée par la Belgique, qui a trois langues officielles (le Français, le Néerlandais, l’Allemand), la République Démocratique du Congo s’est vu imposer la langue française comme langue officielle. Pourquoi pas le néerlandais (le flamand) ? l’explication est assez simple : au début du XX siècle, la communauté la plus influente, politiquement et économiquement, en Belgique est la communauté wallonne. Et les wallons parlent français.
Langues véhiculaires et langues vernaculaires
Aujourd’hui, nous allons nous étendre un peu sur les quatre langues bantoues retenues comme langues nationales ou véhiculaires.
On appelle langue véhiculaire une langue qui permet les échanges entre des groupes parlant des langues différentes. Alors qu’une langue vernaculaire est parlée à l’intérieur d’un seul groupe. Par exemple, le Kimbala (la langue des bambala) est une langue vernaculaire ; alors que le lingala est une langue véhiculaire.
Nos quatre langues nationales ou véhiculaires sont : le Swahili, le Lingala, le tshiluba et le Kikongo. Cet ordre de présentation n’est pas arbitaire ; il correspond à l’importance numérique des leurs locuteurs (les nombres de personnes qui parlent chacune de ces langues).
2. Le Swahili :
Langue internationale
Une des langues officielles de l’union africaine, à côté de l’anglais, le français, le portugais, l’arabe et l’espagnol, le swahili est parlé au Burundi, Comores, Mayotte, Kenya, Malawi, Mozambique, Ouganda, Rwanda, Somalie, Tanzanie.
C’est la première langue véhiculaire ou nationale de la République Démocratique du Congo par le nombre de ses locateurs (les Congolais qui parlent Swahili). C’est une langue issue du mélange de l’arabe et des langues bantoues. Elle s’est installée à l’Est de la République Démocratique du Congo à l’occasion de l’occupation arabe (1850 - 1900) de cette partie du territoire national.
Cette langue est parlée aujourd’hui par 43,6% de la population congolaise. C’est la langue nationale des provinces du Katanga, du Maniema, du Nord et du Sud-Kivu, de l’Ituri et de la Tshopo. Dans la province du Haut-Uélé, elle est parlée uniquement dans le territoire de Wamba.
3 La particularité de Kisangani
Il existe une particularité dans la province de la Tshopo qu’il faut signaler ici avec la ville de Kisangani. Anciennement appelée Stanleyville, cette agglomération est bilingue. En effet, on y parle concurremment le swahili et le lingala. Parce que c’est la ville où se rencontrent le Congo des bangala et le Congo des baswahili. Ceci pourrait expliquer son encrage nationaliste.
Comme langue véhiculaire, le Kiswahili permet la communication entre toutes les tribus de l’Est du pays. Ainsi un nande peut échanger avec un rega, un Kusu avec un lubakat, un lokele avec un shi…
le Kiswahili est de plus en plus présent dans les villes de Mbuji-Mayi, Kananga et Kinshasa. Pour les deux villes du Kasaï, le phénomène est dû à la présence significative de Kasaïens refoulés du Katanga dans les années 1991 – 1992 à la suite des crises d’intolérance politique que notre pays a connue durant cette période et au fait que beaucoup des cadres de ces deux villes ont fait leurs études supérieures et universitaires au Katanga.
Pour Kinshasa, c’est l’arrivée massive des rescapés de la guerre civile de 1996 à 2003.
4. Le Lingala
Langue du Nord-Ouest de la RDC.
C’est la langue nationale retenue pour permettre la communication entre les tribus congolaises habitant les provinces du Maï-Ndombe, Equateur, Tshuapa, Mongala, Nord et Sud-Ubangi, Bas-Uélé et Haut-Uélé. Pour cette dernière province, le lingala n’est pas parlée à Wamba. C’est le Swahili qui est la langue nationale dans ce territoire.
Le lingala est aujourd’hui parlé par 27,8% de la population congolaise, en y ajoutant les locuteurs kinois.
En dehors de nos frontières, le lingala est parlée en République Centrafricaine et au Congo-Brazzaville.
Langue dynamique
Bénéficiant de son triple statut de langue de la capitale (Kinshasa), de la musique congolaise moderne et des Forces armées, le lingala s’étend de plus en plus dans les centres urbains du pays (Kananga, Mbuji-Mayi, Kikwit, Mbanza-Ngungu, Inkisi, Matadi, Boma, Bandundu…).
5. Langue officielle de l'armée
En ce qui concerne l’armée congolaise, c’est le swahili qui était la langue officielle à ses débuts. En effet, lorsque Henri Stanley traverse le Congo pour la première fois d’Est à l’Ouest, il est accompagné de deux cents mercenaires zanzibarites (tanzaniens actuels) qui parlent swahili. Et c’est à partir de ce noyau des militaires tanzaniens que la Force Publique va être bâtie.
Le swahili cède la place au lingala dans l'armée
C’est après « les révoltes des Batetela » de la Force Publique : révolte de Luluabourg, juillet 1895 ; révolte de la colonne Dhanis, février 1897 ; révolte de Shinkakasa (Boma), avril 1900 ; que les belges ont décidé de changer l’aire de recrutement de soldats congolais. Parce que les révoltés, anciens militaires de Ngongo Lutete et des arabes parlaient Swahili.
Les guerriers Mbudza
Les belges vont découvrir une tribu très guerrière à l’Equateur : les mbudza qu’ils vont recruter de manière préférentielle. La prééminence de mbudza dans l’armée coloniale va continuer même dans les forces armées Zaïroises (FAZ). Les huit généraux qui ont dirigé l’armée de Mobutu comme chef d’état-major général pendant ses 32 ans de règne étaient tous des bangala. Et quatre généraux sur les huit étaient des mbudza : général Bumba Moaso, général Mazembe Ma Ebanga, général Eluki Monga Aundu et général Mahele Lieko Bokungu.
Et la langue officielle de l’armée va passer du swahili au lingala jusqu’à ce jour.
6. Le Kikongo
Langue-ciment des Ne-kongo
Le kikongo, autrement appelé le « munu kutuba » ou le kikongo ya l’état, est la langue nationale qui permet la communication entre les tribus qui habitent les provinces du kwilu, du Kwango et du Kongo-central.
Dans cette dernière province, par exemple, le kikongo facilite les échanges entre les groupes ethniques ci-après, qui ont chacun son dialecte : Bantandu (Kintandu), Besingombe (kisingombe), Bandibu (kindibu), Bamanyanga (kimanyanga), Bayombe (kiyombe), Basolongo (Kisolongo), Bawoyo (Kiwoyo,) etc.
Langue nationale les différentes capitales de la République Démocratique du Congo (vivi 1885 – 1886) Boma 1886 – 1927, Kinshasa depuis 1927), le Kikongo est aussi parlé au Congo-Brazza et en Angola.
7. Le kikongo évincé de Kinshasa
Langue de la Capitale Léopoldville, où il cohabite avec le lingala, (les traces qu’on trouve aujourd’hui sont les plaques indiquant les passages interdits au bord des chemins de fer, nzila nsiku), le Kikongo, qui est parlé aujourd’hui par environ 12% de la population congolaise, s’est fait évincer de Kinshasa par le lingala à la suite de trois facteurs.
Premièrement, les congrégations religieuses catholiques qui dispensent l’enseignement primaire en lingala. Deuxièmement, le retour massif à Kinshasa de militaires de la Force Publique qui reviennent des différents fronts de la deuxième guerre mondiale (Ethiopie, Nigeria, Egypte, Palestine, Birmanie) où ils ont accomplis de véritables exploits militaires. Ils sont accueillis et adulés comme des héros. Comme tous parlent lingala (qui est la langue officielle de d’armée), la mode, pour les jeunes kinois, est de parler leur langue, le lingala. Troisièmement, enfin, la musique congolaise moderne naissante utilise le lingala. Souvenons-nous que le premier tube de la Rumba congolaise, la chanson « Marie-louise » de Wendo Kolosoy en 1949 est chanté en lingala.
Perdant du terrain face au lingala, le kikongo a connu une petite extension dans la zone du Tshiluba à Ilebo.
8. Le Tshiluba
Le tshiluba est différent du kiluba
Il faut d’abord faire la différence entre la langue Tshiluba, que nous allons voir, qui est la langue nationale utilisée par les tribus de l’espace Grand Kasaï pour se comprendre, du Kiluba qui est la langue vernaculaire des balubas du Katanga. En effet, il existe deux tribus distinctes au Congo, même si elles revendiquent un ancêtre commun (Ilunga Mbidji), les balubas du Katanga, qu’on appelle aussi communément les balubakat (Laurent-Désiré Kabila, Gabriel Kyungu wa Kumwanza (paix à son âme) Ngoi Mukena, Célestin Mbuyu. . . ) et les balubas du Kasaï ; avec ses deux sensibilités : les luluwa dans l’ancienne province du Kasaï occidental (Mabi Mulumba, Claudel Lubaya, Clément Kanku, Jean-Pierre Tshimanga . . .) et les luba au sens strict dans celle du Kasaï Oriental (Etienne Tshisekedi, Raymond Tshibanda, Francois Mwamba, Dominique Kanku. . .). Les luba du Katanga parlent kiluba tandis que ceux du Kasaï parlent tshiluba.
Le tshiluba, qui est parlé aujourd’hui par 16,4% de la population congolaise, est à la fois langue vernaculaire (propre aux luba-luluwa du Kasaï) et langue véhiculaire ; elle permet aux autres tribus habitant l’espace Kasaï de communiquer entre elles. Un pende de Tshikapa peut converser avec un Kanyoka, un songye de la Lomami peut communiquer avec un kete de Lwiza.
9. Tous ceux qui parlent tshiluba ne sont pas lubas
La conséquence est que tous ceux qui parlent tshiluba ne sont pas des lubas. En effet, il existe plusieurs tribus au Kasaï qui ne sont pas lubas ; mais, qui utilisent le Tshiluba comme langue intertribale en plus de leurs propres langues. Par exemple, les kuba (Evariste Boshab, Mira Ndjoku, le grand Chef Lukengu….) ; les songye (Kitenge Yesu, Adoplhe Lumanu, prof. Katanga Mukumadi, Mulenda Mbo, Yoko Yakembe, Constant Mutamba…) ; les Kanyoka (Angélique Milemba, Dr Sulu...) ;
les Salampasu (Patrick-aimé et Delly Sesanga…) ; les Lualua (Guillaume Manjolo,…) ; les pende de Tshikapa (Maker Mwangu,…) ; etc.
L’imposition du tshiluba, comme les autres langues nationales, s’est fait à travers l’enseignement primaire. Dans les quatre espaces linguistiques de notre pays, l’enseignement primaire est obligatoire dans l’une des quatre langues nationales.
10. Les irréductibles tetelas
Ici, il faut signaler une particularité dans l’espace linguistique tshiluba. Toutes les tribus du grand Kasaï ont accepté le Tshiluba comme langue nationale ; mais une seule s’y est opposée : les tetelas au Sankuru. Ils ont catégoriquement refusé d’apprendre le tshiluba comme langue nationale ; en menaçant même de bruler tous les manuels en tshiluba qu’on leur enverrait.
L’évêque de l’époque, monseigneur Albert Yongo, a même informé le président Mobutu de sa volonté de soulever la population tetela s’il persistait dans son projet d’imposer le tshiluba au Sankuru.
11. La commission d'experts et l'exception tetela
Devant ce refus catégorique des batetela d’apprendre le tshiluba comme langue nationale, le président Mobutu va envoyer une commission d’experts pour voir sur le terrain quelle langue nationale, entre le lingala et le swahili, le Sankuru pourrait adopter facilement.
Les experts ont rendu leur rapport dans lequel ils préconisaient, tenant compte du fait que les tetela appartiennent à la même communauté ethnique que les kusu du Maniema, qui parlent swahili, l’ethnie telala-kusu, que le swahili soit étendu au Sankuru comme langue nationale.
Mais cette proposition n’enchantait pas vraiment le président Mobutu parce que, en étendant le swahili au Sankuru, on augmenterait le nombre de baswahili au pays et donc aussi leur influence politique. C’est ainsi qu’on va adopter une solution inédite et exceptionnelle en autorisant les tetela et les autres tribus du Sankuru à étudier en Kitetela. C’est pourquoi le Sankuru est la seule province de la République qui échappe officiellement aux quatre langues nationales.
Les locuteurs tetela représentent 3,2% de la population de la RDC.
A suivre !
N.B. : Faute de recensement général de la population congolaise, les pourcentages des locuteurs par zone linguistique donnés dans cet article résultent du recensement électoral de 2018; recensement qui a permis la répartition des 500 sièges de l'assemblée nationale aux 26 provinces de la RDC
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Pour plus de détails, voir l'" Atlas linguistique de la RDC" du Centre International de Recherche et Documentation sur les Traditions et Langues Africaines.
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