Page d'histoire: 24 novembre 1965, le général Joseph-Désiré Mobutu, commandant en chef de l'Armée Nationale Congolaise (ANC) fait son coup d'État.
Le Haut-commandement démet le président Kasa-Vubu
1. Les commandants des grandes unités de l'ANC se réunissent à Kinshasa le 24 novembre 1965 dans le cadre d'une structure informelle, le Haut-commandement, et à l'issue de leur réunion, annoncent par un communiqué que le Président de la République Joseph Kasa-Vubu est démis de ses fonctions.
Mais pour bien comprendre ce coup d'État militaire, qui n'est que le dénouement, on serait tenté d'ajouter logique, d'une longue crise politique, il est nécessaire de survoler quelques événements qui l'ont précédé
Le président Kasa-Vubu dissout le Parlement
2. La grande crise congolaise qui va conduire au coup d'État de novembre 1965 commence, à notre avis, le 29 septembre 1963. Ce jour-la, le Président Kasa-Vubu prend la décision illégale de dissoudre le Parlement. Illégale parce qu'il fallait l'accord préalable d'une de deux chambres avant la dissolution, ce qui n'était pas le cas. Le Président reproche aux parlementaires congolais le fait que, d'une part, ils importunent fréquemment son gouvernement dirigé par Cyrille Adoula par des motions intempestives et des réclamations incessantes des avantages financiers et, d'autre part, les travaux de rédaction du projet de la nouvelle Constitution n'évoluent pas.
Sur ce dernier point, souvenons-nous que, à la veille de l'Indépendance, le Parlement belge avait adopté une loi, appelée loi fondamentale, qui devait nous servir de Constitution provisoire ; en attendant que nous puissions, nous-mêmes congolais, adopter notre Constitution définitive.
Les " 3 glorieuses " du Congo-Brazza
3. Après cette dissolution, un groupe des députés lumumbistes (nationalistes) part en exil en face de Kinshasa à Brazzaville où ils sont bien accueillis. Pourquoi Brazzaville ? Parce que cette ville venait de connaître, pendant 3 jours (13,14 et 15 août 1963 qu'on appellent " les 3 glorieuses ") une révolution politique pacifique qui a conduit à la démission du Président de la République du Congo-Brazzaville, l'abbé Fulbert Youlou, qui est remplacé par son ancien président de l'assemblée nationale Alphonse Massamba-Débat, de tendance socialiste comme les députés lumumbistes.
La création du CNL
4. Ces politiciens congolais, opposants au pouvoir de Kasa-Vubu, installés à Brazzaville, créent une structure politique dénommée Conseil National de Libération (CNL) dirigé par l'ancien ministre de l'intérieur de Lumumba ,Christophe Gbenye. A la suite des questions liées au leadership de Gbenye, l'organisation politique se scinde en deux ailes rivales: CNL-Gbenye et CNL-Bocheley.
Le CNL-Bocheley va récupérer la lutte armée de Pierre Mulele, ancien ministre de l'Éducation nationale de Patrice Lumumba. En effet, revenu de Chine où il a été formé par les hommes de Mao Zedong à la guerre révolutionnaire, Pierre Mulele a lancé, depuis début septembre 1963 dans le Kwilu, sa lutte armée contre le néocolonialisme qu'incarnait à ses yeux le pouvoir de Kasa-Vubu.
5. Égide-Davidson Bocheley, ancien député national de la Province Orientale et leader du CNL-Bocheley, nomme Pierre Mulele Secrétaire général des Forces révolutionnaires.
Christophe Gbenye désigne Soumialot et Kabila
Piqué au vif par les critiques de Bocheley à son égard, Christophe Gbenye désigne à Brazzaville deux de ses cadres pour aller démarrer la lutte armée dans la partie Est du pays. Il s'agit de Gaston Sumaili, plus connu sous son pseudonyme de Soumialot, secrétaire général des Forces armées révolutionnaires et de Laurent-Désiré Kabila, secrétaire général aux affaires sociales, Jeunesse et Sport du CNL-Gbenye.
Soumialot et Kabila lancent la rébellion de 1964 à l'Est
A partir de janvier 1964, Soumialot et Kabila, venant de Brazzaville, s'installent à Bujumbura au Burundi, où ils commencent à sensibiliser et recruter les congolais et à distribuer des tracts pour préparer la guerre. Le 15 avril 1964, les deux camarades et leurs recrues lancent la grande rébellion de 1964 en attaquant plusieurs postes dans la plaine de Ruzizi, au Sud-Kivu.
En quelques mois seulement, les rebelles Simba (les lions en swahili) vont prendre le contrôle d'une grande partie du territoire national comprenant le Nord du Katanga (Kalemie, Moba, Manono, Kabalo, Kabongo. . . ), le grand-Kivu ( Uvira, Fizi, Baraka, le Maniema) et la Province Orientale (Kisangani est tombée le août 1964).
La débandade de l'armée nationale
6. Sous prétexte que les rebelles Simba ont des fétiches qui les rendent invincibles (ils attaquent en chantant " Mayi Mulele mayi "), les militaires de l'ANC dirigée par le général Mobutu prennent la fuite sur tous les fronts. Le gouvernement du premier ministre Cyrille Adoula est incapable de faire face aux deux rébellions: la rébellion de Pierre Mulele dans le Kwilu à l'Ouest et celle de Christophe Gbenye et ses Simba à l'Est.
Joseph Kasa-Vubu et Joseph-Désiré Mobutu font appel à Moïse Tshombe
Le Président Kasa-Vubu et le général Mobutu décident, sur suggestion insistante des américains et des belges, de faire appel à un homme qui a la carrure politique nécessaire pour faire face à la situation: Moïse Kapend Tshombe, cet ancien chef de la sécession katangaise qui vit en exil en Espagne depuis qu'il avait fuit le Katanga en janvier 1963.
Moïse Tshombe est nommé premier ministre
7. Revenu à Kinshasa le 26 juin 1964, Moïse Tshombe est nommé Premier ministre par le Président Kasa-Vubu le 10 juillet 1964, après la démission de Cyrille Adoula. Il forme un " gouvernement de Salut public " composé de de dix ministres; lui-même étant à la fois Premier ministre et ministre des affaires étrangères, Plan et Coordination, Travail, Postes et Télécommunications. On retrouve aussi dans ce gouvernement, comme ministre de l'Agriculture, l'autre ancien sécessionniste, l'empereur de l'État Indépendant du Sud-Kasai, le Mulopwe Albert Kalonji.
Moïse Tshombe rappelle ses anciens gendarmes katangais et recrute des mercenaires
8. Pour faire face aux rébellions, Moïse Tshombe fait appel à ses anciens gendarmes katangais qui sont installés en Angola et qu'on appelle désormais " les Diabos ". Il rappelle aussi ses anciens mercenaires qui débarquent en grand nombre à Kinshasa: les Jean Schramme, Bob Denard, Mike Ohara, etc.
Avec les soutiens logistiques et militaires des américains et des belges, le Premier ministre Moïse Tshombe parvient, en quelques mois, à reconquérir le territoire national en chassant les rebelles à l'Est du pays.
Les parachutistes belges sautent sur Kisangani
Le fait le plus marquant de cette reconquête est l'intervention directe de l'armée belge dans cette guerre. En effet, dans le cadre de l'opération " Dragon rouge ", les parachutistes belges sautent sur Kisangani le 24 novembre 1964 (retenez bien cette date) et libèrent les otages occidentaux que détenait Christophe Gbenye. Sur les 2000 otages, une centaine seront massacrés par les Simba lors de l'assaut. La ville est libérée.
Moïse Tshombe organise les élections législatives
9. Aux mois de mai-juin 1965, le gouvernement Tshombe organise les élections législatives que Tshombe remporte avec une majorité écrasante pour sa coalition la CONACO (Convention Nationale Congolaise) avec 122 députés nationaux sur les 167 élus. Il devient l'homme le plus populaire du Congo
Le 13 octobre 1965, le président Kasa-Vubu, qui s'est proclamé candidat à sa propre succession et qui est très inquiet de la popularité de son Premier ministre, prend la grave décision, à la surprise générale, de révoquer Moïse Tshombe, qui détient pourtant la majorité au Parlement.
Kasa-Vubu demet Moïse Tshombe et nomme Evariste Kimba premier ministre.
10. Le 18 octobre 1965, le Président Kasa-Vubu nomme Evariste Kimba, député national et ancien ministre des affaires étrangères de Moïse Tshombe lors de la sécession katangaise, comme Premier ministre. Le 14 novembre 1965, le Parlement, composé en majorité des députés de la CONACO et fidèles à Moïse Tshombe, refuse l'investiture du gouvernement Kimba.
Le 15 novembre 1965, sur conseil du général Mobutu, qui rassure le Président de la République de son soutien indéfectible, Kasa-Vubu renomme Evariste Kimba comme formateur du gouvernement. Ce qui entraîne le pays dans une impasse politique parce que les députés tshombistes attendent Evariste Kimba et son nouveau gouvernement au Parlement pour les chasser de nouveau.
Le président Kasa-Vubu autorise le général Mobutu à convoquer les commandants des grandes unités à Kinshasa.
11. Le 20 novembre 1965, le général Joseph-Désiré Mobutu obtient du Président Kasa-Vubu l'autorisation de convoquer à Kinshasa tous les commandants des grandes unités de l'ANC pour commémorer le 1er anniversaire de la libération de la ville de Kisangani, qui a eu lieu, on vient de le voir, le 24 novembre 1964.
Le message de convocation du Haut-commandement est diffusé à la radio nationale.
La journée du 24 novembre 1965
La journée du 24 novembre 1965 est marquée par la messe et le " Te Deum " chanté à la cathédrale Notre-dame du Congo en présence des officiels et des officiers généraux de l'armée.
A 17h, les commandants se retrouvent à la résidence du général Mobutu qui leur explique la situation du pays et son intention de résoudre la crise politique en prenant le pouvoir. Il dicte à l'un de ses collaborateurs les termes de la déclaration. Ce projet de texte est confié au colonel Van Halewijn, auditeur général de l'ANC, qui participe à la réunion, pour la correction et la mise en forme juridique.
Le déroulement du coup d'État
12. Des dispositions pratiques sont prises: le major Wabali est chargé d'aller couper les lignes téléphoniques du Président Kasa-Vubu. Le lieutenant Lonoh devra lire le communiqué du Haut-commandement le lendemain matin à 5h à la radio. Le colonel Malila, lui, devrait remettre au Président Kasa-Vubu, à 7h du matin, sa lettre de destitution.
Le 25 novembre 1965,tout se déroula comme prévu. Le Président de la République Joseph Kasa-Vubu est destitué et le général Joseph-Désiré Mobutu pris le pouvoir pour un mandat de 5 ans; il le gardera pendant 32 ans !
A suivre !
Nous accordons une très grande importance à la véracité et à l'exactitude des faits. C'est pourquoi nous et nos contributeurs investissons des moyens humains et du temps dans la selection et la validation des contenus. Mais au cas où dans un article, vous rencontrez un problème, une erreur, des améliorations à faire, vos observations, corrections, et critiques sont les bienvenues. Merci de nous contacter.